Hermès psychopompe
tum uirgam capit : hac animas ille euocat Orco
pallentis, alias sub Tartara tristia mittit,
dat somnos adimitque, et lumina morte resignat (1).
Ensuite, il saisit sa baguette : avec elle, il fait sortir de chez
Orcus
des âmes livides, et il en envoie d'autres dans le triste Tartare,
il donne et retire le sommeil, dessille les yeux dans la mort
(2).
Parmi la foule des textes littéraires qui relatent les actions des dieux
grecs et latins, cet extrait de l'
Énéide de Virgile (1er
siècle avant Jésus-Christ) est sans doute l'un de ceux qui illustre le
mieux le caractère psychopompe (3) de Hermès (ou plutôt de Mercure, vu
que ce texte appartient à la tradition latine).
Hermès était en effet le dieu chargé de conduire les âmes aux Enfers.
Son rôle s'est complexifié au VIème siècle avant Jésus-Christ, avec
l'introduction de la notion de métempsycose (4). Avant cela, la croyance
était que chacun errait après sa mort dans les Enfers, indépendamment
de ses crimes ou de ses mérites. Suite à cela, le Tartare et les champs
Élysées sont apparus, le premier étant un lieu de châtiment destiné à
punir les morts de leurs mauvaises actions (c'est en outre le lieu où
ont été emprisonnés de nombreux Titans tels que Tantale, Sisyphe, Ixion
ou Tityos) et le second un lieu de repos temporaire après leur mort et
avant la réincarnation pour les héros et les gens vertueux.
Lécythe (vase destiné à contenir de l'huile parfumée) datant environ
de l'an 450 avant Jésus-Christ et représentant Hermès psychopompe
s’apprêtant à conduire une âme défunte dans les Enfers.
C'est donc le rôle d'Hermès psychopompe de déplacer les âmes en fonction
de leurs vertus et péchés. Il est donc dit dans le texte cité ci-dessus
qu'il en fait sortir de chez Orcus, le dieu des Enfers dans la
mythologie romaine, - désignant ainsi les âmes justes qui quittent les
Enfers pour être réincarnées - et qu'il en envoie d'autres au Tartare -
c'est à dire qu'il conduit les criminels qui viennent de périr dans leur
prison.
Cet extrait de Virgile devient cependant encore plus intéressant à son
troisième vers, avec la mention que Hermès donne et retire le sommeil.
Les Latins voyaient en effet dans le sommeil une sorte d'analogie à
moindre échelle de la réincarnation. Tout comme les âmes passent de vie à
trépas et alternent les passages sur terre et aux Enfers, ils pensaient
que le sommeil était une forme de «petite mort», un état de transition
comparable à une réincarnation puisque la conscience quitte
momentanément le corps pour y revenir ensuite. Tout naturellement,
Mercure (et non Hermès car cette croyance n'est pas présente dans la
Grèce antique) fut le dieu choisi pour opérer cette tournante, choix
logique car il faisait déjà cette opération à une plus grande échelle.
Le rendre maitre du sommeil était en outre logique car, messager des
dieux, il apparaissait souvent en rêve aux héros.
L'influence de la figure d'Hermès sur l'ésotérisme est un sujet vaste
que je me contenterai d'introduire. Premièrement, l'un de ses attributs
peut être considéré comme une prémisse à un accessoire magique connu de
tous. Je parle bien sûr de son caducée. Ce n'est pas par hasard qu'il
est traduit ci-dessus par le terme "baguette" ; la façon dont il s'en
sert rappelant en effet l'usage d'une baguette magique dans la culture
populaire. Je pourrais également parler du rapprochement souvent fait
entre cet objet et le tantrisme. On peut en effet voir dans la
représentation de la caducée entourée de deux serpents entrelacés une
symbolisation de la kundalinî montant le long de la colonne vertébrale.
D'autres que moi seront bien plus à l'aise dans ce domaine et pourront
donc bien mieux expliciter cette comparaison, c'est pourquoi je ne m'y
attarde pas.
Représentation courante du caducée.
En revanche, il me semble important de faire remarquer le lien entre
Hermès qui offre une nouvelle vie aux justes et le personnage mythique
de Hermès Trismégiste (5) présenté comme son descendant et considéré
comme le fondateur de l'alchimie et l'auteur de la fameuse
Table
d'émeraude. Il est difficile de ne pas remarquer une similitude
entre ce dieu psychopompe et un personnage présenté comme maitrisant les
secrets de l'alchimie, pratique dont le but est notamment la recherche
de la vie éternelle, via la création de la panacée (la médecine
universelle) et de l'élixir de longue-vie.
Et que dire de cette croyance en un lien entre le sommeil et la
mort ?
Outre le motif romanesque baroque de la "fausse mort
dans le sommeil" qu'on retrouve notamment chez William Shakespeare dans Roméo
et Juliette, nous sommes en droit de nous demander de quelle façon
cette notion a influencé certaines pratiques ésotériques, celles
incluant une forme de transe telles que le voyage astral en tête. Quitter
son corps lors d'un voyage astral, n'est-ce pas en quelque sorte mourir
temporairement ? Et que dire des cultures qui attribuent le rôle de
psychopompe à des animaux tels que des chevaux, des corbeaux ou des
chiens ? Peut-on dès lors considérer que nos guides animaux durant le
voyage chamanique transportent nos âmes comme Hermès porte celles des
morts aux Enfers ?
(1) : Virgile,
Énéide, chant IV, vers 242-244.
(2) : Traduction de Anne-Marie Boxus et Jacques Poucet, dont l'intégrale
est disponible à la lecture ici
(3) : Du grec ψυχοπομπóς (psychopompós) qui signifie « guide des âmes ».
(4) : Du grec μετεμψύχωσις (métempsycosis) qui signifie « déplacement
de l'âme ».
(5) : Signifie « Hermès trois fois très grand » en grec. Plus
d'informations ici
Article écrit pour le secteur "ésotérisme" du site http://www.parano.be